Dieux païens japonais et cultes oubliés : les Raihoushin

Les dieux païens du Japon sont oubliés, voire effacés des mémoires depuis des dizaines d'années. Cependant, tout comme les festivals traditionnels japonais, les cultes religieux qui leurs sont associés restent d'une importante capitale pour comprendre l'identité du peuple japonais.
Il existe différents types de divinités, parfois effrayantes et parfois attrayantes, qui n'agissent que dans les campagnes japonaises ou au plus profond des îles du Sud.
Ne soyez pas étonné de voir un Raihoushin, un dieu visiteur du Japon, apparaître lors du nouvel an lunaire ou au beau milieu de l'été. Ils viennent avant tout pour protéger les communautés locales, la culture agricole et apporter la bonne fortune dans les foyers.

Le contenu de cet article est écrit grâce aux premières pages de mon livre "Raihoushin, les Dieux visiteurs du Japon : divinités et cultes païens japonais", que je vous invite vivement à découvrir.


Article écrit le 29 septembre 2023
Auteur : Kévin Tembouret


Sommaire :


Qu'est-ce qu'un dieu visiteur au Japon ?

Les Dieux visiteurs (来訪神, Raihoushin) visitent le monde des humains une fois par an, lors d'évènements importants pour la culture ou l'agriculture. C'est le cas de nombreux Koshougatsu no Raihoushin (小正月の来訪神), ces Dieux qui viennent pour le Petit Nouvel An qui a lieu entre le 14ème et le 15ème jour de l'année. C'est l'occasion pour eux d'apporter leur bénédiction en vue des prochaines récoltes.
Les Raihoushin se présentent sous différents aspects et ils portent souvent des masques monstrueux ou primitifs. Ils visitent les maisons des villages, les unes après les autres, pour participer à l'éducation en communauté et pour apporter de la bienveillance dans les foyers. Généralement, quand ils ont un rôle à jouer face aux enfants, ils les effrayent pour les éloigner de l'oisiveté.
Les enfants jouent très souvent un rôle dans ces traditions, comme c'est le cas avec les Hotohoto que vous découvrirez dans le livre, car ils participaient autrefois aux besognes familiales ou de la communauté. Par ailleurs, une idée ancienne et qui perdure dans certaines régions veut que les enfants de sept ans et moins aient une part de divinité en eux. Raison de plus pour qu'ils se déguisent en Raihoushin lors des évènements païens des villages.

Autre point important dans les traditions liées aux Raihoushin : le rapport à l'autre. C'est-à-dire à celui qui est différent. Envers les étrangers, il est commun de ressentir soit de la crainte, de l'admiration ou le besoin d'apporter son hospitalité. Les Japonais ne dérogent pas à la règle : vous remarquerez qu'il y a parfois un lien entre les étrangers et les divinités. C'est le cas des Appossha, par exemple, qui furent créés après qu'un naufragé soit apparu pour demander de la nourriture. Naufragé qui devint, au fil du temps, l'incarnation d'une divinité lointaine qu'il faut nourrir une fois par an.
Le Japon, étant entouré par de l'eau et par l'immensité du ciel, puise ses sources folkloriques au-delà du visible. Une divinité peut venir de l'espace, comme c'est le cas pour de nombreux Dieux du shintoïsme (religion animiste du Japon), ou bien de la mer, comme en témoignent les Paantu ou l'Appossha. Les montagnes jouent aussi un rôle important quant à l'origine d'un Raihoushin ou d'une divinité, car il arrive qu'un Dieu visiteur en descende pour les festivités d'un village.
Pour la préservation de la culture traditionnelle japonaise, les Raihoushin sont inscrits sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO depuis 2018. Un long chemin a donc été parcouru depuis l'ère Meiji, période marquée par l'interdiction des cultes païens qui les faisaient apparaître.

Que sont les Paantu ?

Sur l'île de Miyakojima (宮古島), au début du 9ème mois du calendrier lunaire (généralement début octobre) et durant deux nuits, trois divinités boueuses et masquées apparaissent dans le quartier de Hirara Shimajiri. Leurs noms sont les suivants :

  • Uya Paantu (親パーントゥ), le parent
  • Naka Paantu (中パーントゥ), celui du milieu (peut-être l'adolescent, par extension)
  • Fufa Paantu (子パーントゥ), l'enfant

Ce sont les trois Paantu (パーントゥ), des êtres mystiques censés faire fuir les mauvais esprits et attirer la chance dans les villages. Pour la petite histoire, il y a plusieurs centaines d'années, un masque noir et rouge enveloppé dans des feuilles s'est échoué sur une plage. Les habitants l'ont vénéré comme une divinité en visite, qui se serait manifestée lorsqu'un homme a couru dans le village en portant ce masque. Son aspect effrayant faisait fuir les personnes non désirées et il était, d'une certaine manière, un gage de maintien de l'ordre communautaire. Le terme Paantu provient de paan (manger) et pitu (personne), « celui qui mange les hommes », l'ogre, l'oni, et donc le « Dieu démon ».

Paantu

Les hommes qui participent à cet évènement se cachent le visage avec un masque et se couvrent d'une tenue repoussante (boue et feuilles de vigne), avant de partir à la poursuite des enfants et des adultes effrayés, pour les couvrir de boue. Ils déposent leur matière visqueuse sur le visage des nouveau-nés, pour leur souhaiter une bonne santé, et la projettent sur les maisons nouvellement construites, pour les purifier. Partout où ils se déplacent, ils s'agitent bruyamment et seul le fait de boire du sake au sanctuaire semble les calmer.

Qu'est-ce qu'un Appossha ?

Appossha

Dans les districts de Gamo, Nuzaki et Koshino de la ville de Fukui (福井), dans la nuit du 6 février, de jeunes personnes déguisées en démons au visage rouge font leur apparition. Ces Dieux visiteurs entrent dans les maisons, se moquent des enfants qui se conduisent mal tout en frappant sur le couvercle d'une bouilloire et disent : « Appossha ! Appossha ! » en passant la porte. La coutume veut que les habitants leur offrent des gâteaux de riz lors de leur venue. Quand ils se déplacent dans la ville, ils scandent à tout va les phrases suivantes :
« Pas d'enfants qui pleurent ! Pas d'enfants mauvais ici ! »
C'est une manière pour eux de terrifier les polissons qui se sentent alors mis à l'écart de la communauté, par les terrifiants Appossha.
Le terme appossha (あっぽっしゃ) proviendrait d'une contraction de deux mots :

  • Appo あっぽ : qui signifie localement mochi, c'est-à-dire « gâteau de riz »
  • Hoshiya (欲しや) : une manière de dire « vouloir », « je veux »

On raconte que les Appossha tirent leurs origines d'un naufragé échoué au bord de la ville, qui demandait désespérément de la nourriture pour survivre. Mais étant donné qu'il était un étranger, il faisait peur aux enfants et aux adultes quand il disait appo hoshiya. Avec le temps, la figure de l'affamé a été remplacée par celle du démon divin censé vivre dans la mer, venant pour châtier les enfants qui se sont mal comportés.