Divinités, croyances et festivals traditionnels japonais

La culture japonaise comprend de nombreux matsuri, festivals traditionnels japonais, et cultes religieux. Sur cette page, nous allons nous intéresser aux éléments les plus récurrents et importants des festivals japonais, les différentes croyances, mais aussi faire un point sur les divinités du Japon.
Les fêtes japonaises, qui existent parfois depuis des centaines d'années (ou qui sont parfois millénaires !), sont souvent liées à des rites agricoles ou à des questions existentielles (comme "où vont les morts après leur décès ?"). L'o-Bon matsuri, dont un chapitre est dédié dans mon livre, permet notamment de retrouver les ancêtres partis dans l'au-delà lors de danses religieuses et de prières silencieuses. Qu'il s'agisse de matsuri associés à la mort ou non, les festivités restent au rendez-vous car les Japonais chantent, dansent et se mettent en scène. Les dieux sont de sortie grâce à des char spécifiques (les fameux o-mikoshi) et parfois incarnés dans des pantins articulés traditionnels.

Le contenu de cet article provient de la préface de mon livre "Matsuri : guide des festivals traditionnels japonais de Hokkaido à Okinawa".


Article écrit le 28 septembre 2023
Auteur : Kévin Tembouret



Combien de dieux existe-t-il au Japon ?

Le Japon ancestral se base sur un animisme appelé Shintoïsme, une croyance dans les forces de la Nature, qui comprend autant de divinités que de phénomènes et d'éléments naturels. Ainsi, le feu lui-même peut être considéré comme plusieurs Dieux : un Dieu du petit feu, un Dieu du feu moyen ou encore un Dieu du feu incendiaire. C'est aussi le cas pour des montagnes ou des volcans, le soleil, la lune, …
Le visible est la représentation phénoménale du mystique. L'invisible et l'inexpliqué peuvent aussi être des sources de mysticisme, comme le montrent les croyances en des divinités ayant élu domicile dans l'espace.

Quel est le lien entre les dieux et les Japonais ?

Pour communiquer avec les Dieux du Japon, et ainsi créer un lien entre les hommes et les divinités, il y avait des chamanes et des créatures capables de transmettre des messages. Les chamanes avaient le pouvoir de prédire l'avenir, de mettre en garde contre une situation ou bien de proposer des rituels de protection (sacrifice de personnages en terre cuite notamment, appelés Haniwa). Les Japonais faisaient partie du monde et ils ne se voyaient pas au-dessus de la Nature.
Quant aux messagers, on en reconnait encore aujourd'hui certains. C'est notamment le cas du renard (狐 - kitsune) qui protège le grenier à riz de la divinité Inari (稲荷). Autrefois, au Japon, dans l'espoir qu'une personne d'un rang supérieur nous prête main-forte il fallait faire des offrandes à ses proches (enfants, parents, alliés, amis, …). De cette manière, on pouvait faire passer un message tout en montrant du respect. Il en allait de même pour les divinités : pour demander la protection du Dieu Inari, contre la famine notamment, il était nécessaire de faire des offrandes (souvent du riz enveloppé de tofu frit, qu'on appelle Inari-zushi) aux messagers renards. Aujourd'hui encore, les Japonais continuent d'offrir de la nourriture ou des boissons à ces messagers presque divinisés.

Comment a évolué la religion shinto ?

Avec le temps, la quantité de divinités vénérées a diminué. Bien sûr, rien ne nous affirme qu'il y avait autant de Dieux priés sur tout le territoire à l'origine. C'est un chiffre qui permettait avant tout de donner de la valeur au Shintoïsme dès les débuts de l'Empire japonais (autrefois appelé Yamato, car son expansion s'est faite avec le clan Yamato depuis l'île principale Honshū).
L'Histoire a fait que les nombreuses divinités régionales ont été oubliées, ou reléguées au rang de « créatures du folklore » (妖怪 - yōkai), pour laisser place au culte de la divinité du Soleil : Amaterasu (天照). Quand le Bouddhisme, les croyances chinoises et l'Hindouisme sont arrivés au Japon, le Shintoïsme a partagé son statut de religion d'État avec les adeptes du Boddhisattva (non sans mal !). Les influences culturelles se sont mélangées et certaines divinités étrangères se sont soit vues « fusionnées » avec d'autres du Shinto, soit elles ont gagné en popularité sous un autre nom. C'est le cas du Dieu hindou Avalokitesvara, devenu Kannon (観音) : la Déesse de la miséricorde au Japon.
De nos jours, on considère que les lieux de culte bouddhistes sont appelés « temples » et ceux du Shinto sont des « sanctuaires ». Vous remarquerez cette distinction tout au long de ce livre.

Quelle est la place des rites et des croyances dans la culture japonaise ?

Les rites religieux, eux, perdurent. Les rapports aux questions existentielles (à la vie, la mort, l'existence, …) demeurent et le Shintoïsme garde une place essentielle dans les habitudes sociales. Le mariage est toujours aussi ritualisé, la prière continue de se faire au Nouvel An et les défunts sont toujours accueillis dans les familles durant la fête estivale du Bon matsuri (盆踊り, fête traditionnelle des morts).

Qu'est-ce qu'un matsuri ?

Matsuri. Voilà le mot tant attendu. Les touristes ont tendance à associer les fêtes traditionnelles à de simples moments joyeux, durant lesquels on sort les plus belles tenues religieuses et on danse sur de la musique ancienne. Mais c'est bien plus que cela ! Prenons en exemple le fameux Kanamara matsuri (かなまら祭り), fête religieuse durant laquelle les touristes (et les Japonais) s'amusent de voir des pénis géants défiler dans les rues. C'est un moment unique et à vivre une fois dans sa vie, car on se régale de sucettes et bananes (sculptées comme les attributs des genres masculin et féminin) tout en suivant gaiement le cortège. Derrière cela, il y a toute une histoire et des croyances associées à la fertilité. Nous reviendrons là-dessus plus tard, dans une section dédiée à ce festival, mais le but étant de vous ouvrir l'esprit sur la richesse des matsuri. Ils puisent leurs racines dans des évènements historiques ou dans des croyances populaires, et ont pour vocation de réunir les Japonais.
Les fêtes religieuses, tout comme les cérémonies, existent donc pour que les familles se regroupent, que les amis se rencontrent et que les étapes de la vie soient célébrées.

image d'un matsuri d'Asakusa

Qu'est-ce que le mythe d'Iwato no Kakure ?

Les matsuri trouvent leur origine dans l'ancien mythe d'Iwato no Kakure (岩戸隠れ, « la cachette d'Iwato »). Celle-ci raconte que la Déesse du soleil Amaterasu s'est cachée dans une grotte à l'entrée bloquée par un rocher, provoquant une nuit sans fin sur le monde. Les huit millions de Dieux ont décidé d'y remédier et ont organisé une grande fête devant la porte rocheuse, en dansant et en chantant, pour attirer l'attention d'Amaterasu et la faire sortir. Ce « banquet » serait à l'origine de tous les festivals traditionnels actuels.
Le mot matsuri vient également du verbe matsuru (祭る), qui signifie « vouer un culte », et a pour connotation la présentation d'offrandes aux Dieux. Depuis l'apparition de ce mythe (au VIIIème siècle dans l'ouvrage du Kojiki, « Chronique des faits anciens »), des festivals sont organisés au Japon pour exprimer la gratitude envers les Dieux et pour délivrer des prières.
Dans les temps anciens, les festivals ont toujours été étroitement liés à la vie quotidienne des gens qui souhaitaient une bonne récolte, la paix, etc. Au début de la période Edo (1603-1867), les festivals sont devenus plus divertissants et faisaient partie de la culture populaire. C'est l'apparition des spectacles flamboyants sur scène, des sanctuaires portatifs, des danses festives et des feux d'artifice. L'ordonnance de « séparation du shintoïsme et du bouddhisme » de l'ère Meiji (1868-1912) a interdit les festivals, mais après la seconde guerre mondiale, il y a eu un mouvement actif pour faire revivre les festivals japonais comme à l'époque Edo et celui a mené à leur popularité actuelle.

Quel est le rôle des feux d'artifice au Japon ?

Au Japon, les feux d'artifice sont uniques par leur beauté et leur côté éphémère. Contrairement aux feux d'artifice occidentaux, la contemplation ne se trouve pas dans le fait que « ça explose de partout » et à grande vitesse, mais au contraire dans le fait qu'on prend le temps de s'émerveiller à chaque tir qui scintille puis disparaît. Il n'est d'ailleurs pas rare d'admirer des feux d'artifice qui durent une demi-heure ou une heure, même à Tōkyō. Cette idée se retrouve même dans le mot japonais : hanabi (花火), « feux de fleurs » ou finalement « réduction de la beauté éphémère d'une fleur en cendres ». Les « feux de fleur » sont donc un moment unique à vivre, en profitant de la beauté la plus vive (l'explosion) jusqu'au souvenir de celle-ci (la désintégration dans le ciel).
L'histoire des feux d'artifice au Japon remonte à la période Edo, au début des années 1600, et ils sont depuis longtemps populaires auprès du grand public. Si la beauté des feux d'artifice doit être appréciée, certains feux d'artifice sont destinés à réconforter les âmes et à faire reposer les âmes des morts grâce à la puissance du feu sacré. D'autres, comme on peut le remarquer dans des petits matsuri de campagne notamment, servent à faire passer des messages auprès des êtres aimés.

image d'un matsuri feu d'artfices

Il m'est déjà arrivé, du côté de Niigata, d'admirer un feu d'artifice où chaque feu tiré était accompagné d'un message tel que « à la naissance de mon enfant, pour qu'il grandisse dans le bonheur et la chance ». Les feux d'artifice japonais se caractérisent par leur forme arrondie, florale, et ils s'épanouissent de manière large et ordonnée. Certains peuvent former des lettres ou des images, d'autres le mont Fuji ou des chutes d'eau.
Les petits feux d'artifice à tenir à la main existent aussi et il n'est pas rare, dans les séries et films japonais par exemple, de voir des jeunes gens en allumer sur la plage ou dans un parc.
D'autres, bien plus grands et bien plus lourds, sont utilisés lors des rituels shintoïstes par des intervenants. Il s'agit de gros tubes appelés tezutsu-hanabi (手筒花火, « canon à feux d'artifice portatif »), tenus sous le bras et qui projettent des étincelles dans l'air, pour finalement exploser tout en restant sur place.
Des feux d'artifice sont organisés dans tout le Japon, mais les plus célèbres sont les feux d'artifice d'Ōmagari (préfecture d'Akita, nous en reparlerons bientôt), le festival des feux d'artifice de la rivière Sumida de Tōkyō (隅田川花火大会, Sumida-gawa hanabi taikai) et les feux d'artifice de Nagaoka (préfecture de Niigata).

Qu'est-ce que le Tsunahiki ?

À l'origine, le fait de tirer sur une corde lors des matsuri Tsunahiki (綱引き) était un rituel visant à prier pour la pluie. Petit à petit, ces mêmes festivals ont fait évoluer le concept en donnant l'apparence d'un serpent géant (ou d'un dragon parfois) à la corde. Pour la petite histoire, les serpents apparaissent lorsqu'il pleut et sont considérés comme des messagers divins dans le monde agricole japonais.
Mais ces matsuri forment aussi un divertissement, un concours de force et un événement important au cours duquel les villages s'affrontent pour renforcer l'unité de la communauté. Dans les villages d'agriculteurs et de pêcheurs, on utilise ce moment pour prédire ou souhaiter une bonne récolte et une pêche abondante. Dans les villes commerçantes, il s'agit d'une célébration des échanges avec d'autres villes ou régions.
Le festival le plus célèbre est le Naha Ō-tsunahiki matsuri (那覇大綱挽まつり), considéré par le Guinness World Records grâce à sa « plus grande corde en paille de riz ». Il se déroule dans la ville de Naha, à Okinawa, entre les 7 et 9 octobre de chaque année. Celui-ci existe depuis le XVIIème siècle et il n'est pas près de s'arrêter !

Qu'est-ce que la danse Bon Odori ?

On dit qu'il existe plus de 1 000 types de danse traditionnelle différents dans tout le Japon, dont un plus reconnu que tous les autres : le Bon Odori (盆踊り).
Il s'agit d'une danse d'offrande aux ancêtres, pendant la période de célébration des défunts appelée Bon (juillet/août), qui trouve son origine dans le bouddhisme.
Un chapiteau traditionnel (やぐら – yagura) est érigé au centre de la place et les gens dansent généralement autour en réalisant des ondo (周囲, « pas de danse »). Tout le monde peut participer à cette danse aussi populaire que festive, car les mouvements sont assez simples à mémoriser.
Parmi les danses Bon Odori qui ont lieu au Japon, trois d'entre elles sont reconnues dans tout le pays :

Nous parlerons de ces trois danses dans les chapitres à venir, quand nous évoquerons les matsuri qui leur sont associés.

Quels sont les différents types de matsuri ?

Le terme matsuri (祭り) désigne de nos jours diverses formes d'événements. Des événements familiers (communautaires et scolaires), des événements liés aux quatre saisons ou à la culture (Hana Matsuri, Hina Matsuri, …), ainsi que des festivals et des rituels shintoïstes organisés principalement dans des sanctuaires et des temples.

Quels sont les chars japonais o-mikoshi, dashi et taiko-dai ?

L'o-mikoshi (お神輿), aussi prononcé o-shinyo, est un « palanquin » (véhicule). On dit qu'il renferme une divinité qui vient participer au matsuri auprès de ses disciples.
Le mikoshi est transporté dans les environs du sanctuaire shintoïste par des porteurs vêtus d'un costume traditionnel (le hanten - 半纏), sur leurs épaules. On dit qu'il est utilisé pour absorber (ou purifier) le mauvais œil et pour entendre les prières ou souhaits. L'attrait du mikoshi réside dans l'enthousiasme de ceux qui le portent, généralement très énergiques lors des matsuri. Ils peuvent être assez lourds, allant jusqu'à plusieurs centaines de kilos, et de nombreuses personnes sont nécessaires pour les porter. Comme un mikoshi est essentiellement porté par des habitants de la ville, il contribue grandement au rapprochement social des membres de la communauté locale.

image d'un char traditionnel de matsuri

Comme le mikoshi, le dashi (山車) et le taiko-dai (太鼓台) sont des réceptacles de divinités qu'on fait circuler dans la ville, soit en les tirant soit en les portant. Ils sont encore plus lourds que les mikoshi, considérés comme des sanctuaires portables. Ils sont bien souvent composés de roues et sont tirés à la main.
Le dashi est composé de l'idéogramme de la montagne (山 - yama), car il doit se rapprocher le plus possible de cet aspect. De nombreuses divinités proviennent de rochers et de montagnes, c'est pourquoi les fabricants doivent favoriser leur apparition dans un véhicule qui leur ressemble. Pour rendre les Dieux plus heureux, les dashi sont magnifiquement ornementés.
Les taiko-dai ont également des roues et ils sont aussi dédiés à accueillir des divinités. Ils se caractérisent par les tambours qui les composent et par leur décoration (avec des fleurs, des poupées, …). La plupart d'entre eux peuvent être vus dans l'ouest du Japon, notamment dans le Kansai (côté Ōsaka, Kōbe, …) et à Shikoku. Les plus impressionnants sont certainement ceux du festival de Gion (Kyōto) et du Danjiri (Kishiwada).


Quels sont les matsuri les plus réputés du Japon ?

De nombreux festivals sont organisés dans différentes régions, parmi lesquels certains sont plus célèbres que d'autres. On notera le festival de Gion à Kyōto, le festival de Tenjin à Ōsaka et le festival de Kanda à Tōkyō. Voici une présentation brève de chacun d'entre eux, que nous aborderons plus tard dans le livre.

Le festival de Gion (sanctuaire de Yasaka, Kyōto)

Le festival de Gion (祇園祭), qui existe depuis le règne de l'empereur Seiwa en 869, est un matsuri historique qui se tient depuis plus de mille cent ans. Il se déroule pendant un mois, du 1er au 31 juillet, avec un nombre inégalé d'événements. Citons par exemple le Kichibu-iri (une prière pour la sécurité de l'événement), la présentation des chars traditionnels, le défilé autour du sanctuaire de Yasaka (八坂神社) ou encore la démonstration de musique Iwami Kagura (石見神樂).
Généralement, les Japonais qui vont au festival ne se rendent pas à tous ces évènements (car il faudrait un mois complet de vacances), mais participent aux plus importants d'entre eux.

Le Tenjin Matsuri (sanctuaire Tenmangū, Ōsaka)

Organisé sur deux jours, les 24 et 25 juillet, le Tenjin Matsuri (天神祭) est un festival dont la riche histoire remonte au milieu de la période Heian (794 – 1185).
Le Hongu Funatogyo, la procession de bateaux, du 25 juillet est l'attraction principale et de nombreuses personnes se pressent pour y assister. Celle-ci commence vers 18 heures. Pour l'évènement, plus d'une centaine de navires (dont la plupart ont été construits à l'aide de matériaux naturels) transportent l'esprit du poète Sugawara no Michizane sur la rivière Okawa. Près de cinq mille feux d'artifice sont tirés pour l'occasion. La danse unique du Tenjin Matsuri, Ryu Odori (龍舞, « la danse du dragon »), représente un dragon montant au ciel au rythme de la musique.

Le festival de Kanda (Kanda Myojin, Tōkyō)

Le festival de Kanda (神田祭) se tient tous les deux ans à la mi-mai. Ses origines sont inconnues car il existe peu de traces écrites de ce festival, mais on sait qu'il était déjà très populaire pendant la période Edo (1603-1868).
Il est considéré comme un festival de bon augure pour la famille Tokugawa (clan ancestral du Japon), car on pense que les prières quotidiennes de Tokugawa Ieyasu (un des 3 plus grands chefs militaires du Japon des shogunats) au temple Kanda Daimyojin (京都神田明神) ont conduit à l'unification du Japon. Depuis, le festival de Kanda est devenu encore plus grandiose, avec des mikoshi (sanctuaires portatifs) transportés dans les rues et des festivals de tambours organisés en grande pompe.
Les événements se caractérisent par une atmosphère joyeuse, que l'on peut même ressentir dans les quartiers environnants. Alors que les festivals japonais ont souvent lieu en été, le festival de Kanda se déroule à la mi-mai et il permet de goûter à l'esprit festif du Japon avec un peu d'avance.