Yurei : histoires de fantômes du Japon

Qu'on croit aux fantômes ou non, ils sont présents dans la plupart des cultures humaines passées et présentes. Leurs apparitions fascinent autant qu’elles effraient et elles transforment notre vision du monde.
Au Japon, le fantôme du folklore japonais existe sous 2 formes :

  • Le Hi-no-Tama : une « boule de feu » correspondant bien souvent à l’esprit d’une personne décédée. Un livre est dédié à ce Yokai, car le Hi-no-Tama assez différent des fantômes dont nous allons parler ici.
  • Le Yūrei : l’esprit d’un mort qui n’arrive pas à rejoindre l’au-delà. Il apparaît sous une forme humaine, ou à travers une odeur, un souffle, une sensation de chaleur absorbée ou bien à travers des bruits.
Le Yūrei se montre dans les maisons, les écoles, les taxis, sur les chemins, … Là où la personne meurt, le Yūrei reste.
Pour devenir un fantôme, il ne suffit pas de le vouloir. Le Yūrei est généralement submergé de regrets ou bien sa mort fut si douloureuse qu’il ne peut pas accéder à la paix éternelle. Parfois, il s’agit simplement d’une âme errante qui ne trouve pas le chemin vers l’au-delà.
Dans la culture occidentale, un fantôme « ça fait peur ». Au Japon, ça dépend : parfois égaré, parfois enragé et parfois gratifiant, le Yūrei est une créature complexe mais pleine de sens.
Toutes les histoires de cet article forment un extrait du livre "Yurei, petites histoires de fantômes japonais", afin d'être le plus transparent avec vous sur son contenu.


La mère et le chasseur

Apparition du fantôme : Préfecture de Hyogo 兵庫県

Un soir d'hiver, un chasseur s’était caché derrière une construction en bois. Il attendait patiemment qu'un cerf fasse son apparition, mais une créature plus étonnante se posa sous ses yeux ...
C'était une femme, une belle femme japonaise au teint pâle et à l'habit richement décoré. Le chasseur se leva, se dirigea vers elle mais celle-ci lui tourna le dos. Quand elle se montra à nouveau à lui, elle portait un bébé contre son sein gauche et un fusil rouillé dans sa main droite. Qui était-elle ? Pourquoi semblait-elle si mystérieuse ..?
Des interrogations qui s’effacèrent quand, d'un coup, elle posa son fusil sous sa propre mâchoire et elle tira !
Le chasseur était horrifié. La femme ... elle était encore debout ... Sa tête était ensanglantée, certes, mais son visage était intact. Ses lèvres se tirèrent vers le haut, un sourire diabolique et des yeux vicieux se dessinaient sur son visage. Le bébé riait fort, très fort. Sa voix était aussi rauque que celle d'un vieil homme.
Le chasseur s'agenouilla au sol et il commença à prier Bouddha : "Amidha Butsu ... Amidha Butsu ..."
Un instant plus tard, la femme et son enfant s'étaient évaporés. Le chasseur comprit qu'il s'agissait de 2 yūrei. La femme et l’enfant furent sûrement tués en forêt à cet endroit, par un autre chasseur, et ils restaient ici pour s’assurer qu’un tel drame n’arrive plus jamais.

Le vendeur de bonbons

Apparition du fantôme : Préfecture d'Ishikawa 石川県

A Kanazawa il y avait autrefois un vendeur de confiseries. Son magasin était rempli de jolies petites gourmandises raffinées dont raffolent les enfants japonais. Chaque soir, avant la fermeture, une dame venait le voir et elle le fixait droit dans les yeux. Quand elle détournait son regard, des larmes coulaient le long de son visage. Elle s'en allait triste et seule, chaque soir, sans ne jamais dire un mot au vendeur de bonbons.
Un soir, le vendeur laissa la boutique à son fils et il courut rejoindre la dame. Mais elle se mit à courir encore plus vite ! Tous deux entrèrent dans le cimetière et au bout d'un moment, la femme s'arrêta devant une tombe. Sous les yeux étonnés du vendeur de bonbons, le corps de la femme devint transparent et il ne la vit plus jamais.
Quand il raconta cette histoire à un moine, celui-ci comprit qu'il y avait un message à décrypter. C'est pourquoi la nuit suivante, ensemble, ils creusèrent sous la tombe où le Yūrei avait disparu et ils trouvèrent un bébé très affaibli. Cela faisait 7 jours que sa mère était morte mais il vivait encore. Malgré la terre qui recouvrait son corps et son visage, le bébé mâchouillait un délicieux bonbon provenant de chez le vendeur.
En réalité, le fantôme de la mère venait chaque jour prendre des bonbons chez le gentil monsieur, puis elle attendait qu'il la suive jusqu'à la tombe. Grâce à lui et grâce au moine, l'enfant était sauvé et l'esprit de la mère fut soulagé.
Le moine écrivit un parchemin bouddhiste pour offrir la paix éternelle à la mère, puis il prit l'enfant comme son disciple. Avec le temps le petit garçon devint un des plus fidèles adeptes du moine, lui-même devenu le grand maître zen qu'on appelle Dogen.
Note de l'auteur : les confiseries du Japon sont assez différentes de celles de l’Occident. Si vous voyagez un jour au pays du soleil levant, faites un détour dans une boutique traditionnelle et demandez à goûter des Konpeito (souvent en forme d'étoile, ces bonbons sont d'origine portugaise par ailleurs), des Wagashi (gâteaux japonais à base de pâte d'azuki, de mochi, parfois de fraises, etc.) ou tout autre "Amé" (bonbon). Au Japon, le bonbon est gracieux, esthétique et souvent coloré. Si ce sujet vous intéresse, alors sachez que l'art de créer des "bonbons sculptures" s'appelle Amezaiku ! D'ailleurs, j'imagine que si l'enfant du Yūrei n'était pas devenu moine, il serait sûrement devenu un grand artiste de l'Amezaiku.

Les Ayashibi 怪火

Apparition du fantôme : Préfecture d'Hiroshima 広島県

Pendant les nuits d'été et d'automne, des feux mystérieux déambulent à la surface de l'océan.
Dans un autre ouvrage intitulé "Hi-no-Tama, histoires de feu-follets et d'esprits au Japon", nous avions parlé des boules de feu qui apparaissent parfois sur terre ou dans les airs. Cependant, nous n'avions pas parlé des Ayashibi pour une raison bien précise : il s'agit de fantômes enflammés et visibles à la surface de l'océan, qui errent entre deux espaces délimités :

En Japonais, "la mer" se dit "Umi" et "les fantômes" sont appelés "Yūrei". Les Ayashibi, ces "feux ectoplasmiques", sont donc souvent appelés "Umiyūrei" 海幽霊.
Bien qu’ils ne fassent de mal à personne, les voir au-dessus de l’eau attriste les marins. Voir des esprits autant affligés, forcés de quitter leur monde, ne laisse personne indifférent.
Note de l'auteur : autrefois, on disait que l'esprit d'un mort s'en allait dans un endroit reculé pour atteindre l’au-delà, l’Enfer (au sens grec du terme, oubliez le dualisme Paradis / Enfers dans le Shintoïsme). Pour ceux qui habitent dans les terres, les esprits partent dans les montagnes. Pour ceux qui vivent près de la mer ou de l'océan, alors l'au-delà se trouve littéralement "au-delà de l'eau".
D'ailleurs, dans le "Dictionnaire des dieux japonais", on raconte que le dieu Ebisu pourrait être à la base un enfant rejeté en mer par ses parents. L'envoyer de l'autre côté de la mer, c'est l'envoyer dans la mort et s'en débarrasser définitivement. Mais en revenant seul sur la terre ferme, Ebisu devient l’image de celui qui rejette la mort ou qui naît une seconde fois, grâce à sa propre volonté. Un Umiyūrei, lui, ne peut pas revenir comme Ebisu car il s'est détaché de son propre corps.

Visite nocturne

Apparition du fantôme : Préfecture de Wakayama 和歌山県

Dans le comté d'Arita, un petit garçon sortait de chez lui chaque soir pour aller à la rencontre d'un Yūrei. Ce fantôme était celui d'une âme enragée et désespérée, à la recherche d'un être à hanter pour se sentir à nouveau vivant. Le pauvre enfant avait été manipulé par le Yūrei et il lui offrait son corps pour faire diverses choses malfaisantes.
D'autres Yūrei s'étaient mis en tête de trouver des enfants à manipuler. Cela devenait tellement commun qu'on considéra toute la région comme hantée.
Pour arrêter ce désastre, les personnes âgées ont décidées d'agir. Chaque soir, à la tombée de la nuit et quand la lune illuminait le toit des maisons, les anciens du village attrapaient chaque enfant qui s'en allait en direction de la forêt. Les garnements se débattaient, mais la bienveillance des personnes âgées était plus forte que la manipulation des Yūrei.
Dès lors, plus aucun Yūrei ne trouva chaussure à son pied et les histoires de petits enfants hantés se sont arrêtées.

Les prisonniers de Gejo

Apparition du fantôme : Préfecture de Nagano 長野県

Il y a longtemps, quand la guerre faisait rage, les prisonniers étaient emmenés dans le petit village de Gejo. Ils n'étaient pas forcément maltraités, mais leur vie était tout aussi misérable que leur mort. Loin de chez eux, de leur famille et de leurs amis, les prisonniers devenaient de plus en plus aigris et sauvages. Leur humanité semblait s'être volatilisée au point qu'on pensa qu'ils étaient hantés par des Yūrei.
Quand tous les prisonniers furent morts, les habitants du village devinrent très inquiets. Dès qu'une personne était malade, devenait folle ou assassinait froidement quelqu'un de son entourage, on disait : "c'est un prisonnier qui a pris possession de son corps. Il vient pour se venger !"
La terreur et la panique avaient envahi le village, au point que d'année en année chaque habitant abandonnait son domicile ... Ou disparaissait, personne ne le sait vraiment.
Si un jour vous redécouvrez ce village perdu, rebroussez chemin ou vous deviendrez la proie des Yūrei …

Terreur en pleine mer

Apparition du fantôme : Préfecture de Nagasaki 長崎県

La mer était calme et seuls les rayons nocturnes de la lune illuminaient la proue du navire. On pouvait entendre parfois quelques poissons s’agiter à la surface de l'eau, mais rien ne laissait imaginer qu'un évènement assez particulier allait se dérouler sous les yeux des marins.
Alors que le capitaine fixait l'horizon ténébreux, le bateau s'arrêta de bouger. Des craquements se faisaient entendre derrière le capitaine, qui se retourna avec curiosité.
C'était le gouvernail ... d'innombrables têtes pâles à la peau blanchâtre et semblable à de l’écorce s'agglutinaient, là, en mordant de leurs dents aiguisées et translucides le gouvernail du navire !
Le capitaine ne céda pas à la terreur et il s'arma d’un courage exemplaire ! Il prit son arme et il frappa fortement le gouvernail. Les Yūrei s'échappèrent dans le ciel obscur jusqu'à ce qu'on ne puisse plus les différencier des nuages. Le bateau redémarra doucement, les marins étaient soulagés. Le capitaine, lui, avait été choqué par ce qu'il avait vu et il fut terrorisé jusqu'au lever du soleil.
Quelques mois plus tard, le navire passa au même endroit pour livrer de nouvelles marchandises. Le capitaine et les moussaillons s'étaient préparés au pire.
Le lendemain, une fois le bateau arrivé à destination, tout l'équipage avait disparu ! Seul le capitaine était là, mais la vie s'était échappée de lui. Le navire avait-il été la proie des Yūrei, une seconde fois ? Ou était-ce l'œuvre d'un Yokai bien plus puissant ? Le mystère n'a jamais été résolu, mais on évita de prendre le même trajet que le navire maudit durant plusieurs années ...


Cet article a été rédigé par Kévin TEMBOURET le 17/01/2021 et il s'agit d'un contenu original, tiré du livre "Yurei, petites histoires de fantômes japonais". Merci de respecter le travail réalisé et les droits d'auteur. Si vous souhaitez utiliser en partie le contenu de cet article, vous pouvez obtenir une autorisation en me contactant directement et en faisant un lien vers cette page depuis votre publication.